lundi 3 décembre 2018

Les " suffisants "

Il fallait voir leurs regards teintés de ce sentiment de supériorité venu d'on ne sait où  posés sur les têtes brunes et parfois voilées, sagement assises. A l'écoute de leur docte savoir. Car eux savaient. Ils étaient allés à l'école , avaient obtenu les diplômes.
C'était trop aimable de leur part de s'attarder ainsi à leur apprendre les rudiments de la lecture, le B.A. BA, pour elles, venues d'outre- Méditerranée.
Les   "suffisants" plaquaient mécaniquement leur  inoxydable grille de savoir sur elles, perdues, venues d'ailleurs.
Elles qui ne savaient ni lire ni écrire le français, venaient  pourtant du pays de l'algèbre et des nombres. Là où l'on écrit à l'envers, de droite à gauche non de gauche à droite. Là où l'on sait compter.
-" Faites comme les enfants, entraînez -vous bien à la maison surtout "! suivez bien chaque ligne ,sans déborder ! " leur était-il indiqué avec la plus parfaite conviction.
L'enfer n'est-il pas pavé des meilleures intentions ?
-" Mais Madame, justement, nous ne sommes plus des enfants, nos cerveaux sont des cerveaux d'adultes " répliqua Aïcha,  la doyenne du groupe, l’œil noir et vif aussi perçant qu'un aigle !

Oups . 

Silence embarrassé et sourires malicieux des " ignorantes "solidaires.
Des anges passèrent dans la petite salle de classe.
Ne sachant ni lire ni écrire certes, Aïcha venait de relever le point crucial .
Avec tous les savoirs acquis, les" suffisants" avaient  juste oublié qu'avant de  transmettre un savoir, il convenait d'abord  de reconnaître son auditoire, dans son unicité et son altérité.
Et si les ignardes avaient tant de mal à mémoriser les syllabes, les " suffisants" , quant à eux, ne retenaient pas leurs prénoms .  Trop difficile à mémoriser ?
 A quoi bon ?


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