Textes choisis...

 Le zèbre de Robert Desnos

Le zèbre, cheval des ténèbres,

Lève le pied, ferme les yeux

Et fait résonner ses vertèbres

En hennissant d’un air joyeux.

Au clair soleil de Barbarie,

Il sort alors de l’écurie

Et va brouter dans la prairie

Les herbes de sorcellerie.

Mais la prison sur son pelage,

A laissé l’ombre du grillage

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Demain, dès l'aube...

Demain, dès l’aube, à l’heure où blanchit la campagne,
Je partirai. Vois-tu, je sais que tu m’attends.
J’irai par la forêt, j’irai par la montagne.
Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps.

Je marcherai les yeux fixés sur mes pensées,
Sans rien voir au dehors, sans entendre aucun bruit,
Seul, inconnu, le dos courbé, les mains croisées,
Triste, et le jour pour moi sera comme la nuit.

Je ne regarderai ni l’or du soir qui tombe,
Ni les voiles au loin descendant vers Harfleur,
Et quand j’arriverai, je mettrai sur ta tombe
Un bouquet de houx vert et de bruyère en fleur.

Victor Hugo, extrait du recueil «Les Contemplations» (1856)


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A une passante (Charles Baudelaire)

Longue, mince, en grand deuil, douleur majestueuse,
Une femme passa, d’une main fastueuse
Soulevant, balançant le feston et l’ourlet;
Moi, je buvais, crispé comme un extravagant,
Dans son oeil, ciel livide où germe l’ouragan,
La douceur qui fascine et le plaisir qui tue.
Dont le regard m’a fait soudainement renaître,
Ne te verrai-je plus que dans l’éternité?
Car j’ignore où tu fuis, tu ne sais où je vais,
O toi que j’eusse aimée, ô toi qui le savais!

La rue assourdissante autour de moi hurlait.

Agile et noble, avec sa jambe de statue.

Un éclair… puis la nuit! – Fugitive beauté

Ailleurs, bien loin d’ici! trop tard! jamais peut-être!

Charles Baudelaire, Les Fleurs du mal


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« Les maillots qui grattent », extrait de Le voile noir (Anny Duperey)

 


Oh ! Une réminiscence ! Un vague, très vague souvenir d’une sensation d’enfance : les maillots tricotés main qui grattent lorsqu’ils sont mouillés…

Ce n’est pas le plus agréable des souvenirs mais qu’importe, c’en est au moins un. Et je suis frappée de constater encore une fois, en regardant sur ces photos les vêtements que nous portons ma mère et moi, que tout, absolument tout, à part nos chaussures et les chapeaux de paille, était fait à la maison. Jusqu’aux maillots de bain. Que d’attention, que d’heures de travail pour me vêtir ainsi de la tête aux pieds. Que d’amour dans les mains qui prenaient mes mesures, tricotaient sans relâche. Est-ce pour me consoler d’avoir perdu tout cela, pour me rassurer que je passai des années à fabriquer mes propres vêtements, plus tard ? Et puis qu’importe ces histoires de vêtements, de maniaquerie couturière, et qu’importe cette vague réminiscence des maillots qui grattent, si fugitive que déjà je doute de l’avoir retrouvée un instant… Ce qui me fascine sur cette photo, m’émeut aux larmes, c’est la main de mon père sur ma jambe. La manière si tendre dont elle entoure mon genou, légère mais prête à parer toute chute, et ma petite main à moi abandonnée sur son cou. Ces deux mains, l’une qui soutient et l’autre qui se repose sur lui. Après la photo il a dû resserrer son étreinte, m’amener à plier les genoux, j’ai dû me laisser aller contre lui, confiante, et il a dû me faire descendre du bateau en disant « hop là ! », comme le font tous les pères en emportant leur enfant dans leurs bras pour sauter un obstacle. Nous avons dû gaiement rejoindre ma mère qui rangeait l’appareil photo et marcher tous les trois sur la plage. J’ai dû vivre cela, oui… La photo me dit qu’il faisait beau, qu’il y avait du vent dans mes cheveux, que la lumière de la côte normande devait être magnifique ce jour-là» Et entre mes deux parents à moi, si naturellement et si complètement à moi pour quelque temps encore, j’ai dû me plaindre des coquillages qui piquent les pieds, comme le font tous les enfants ignorants de leurs richesses.



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